Architecture et pouvoir ont toujours fait bon ménage. Ou plutôt, tous les puissants, de l’antiquité à nos jours, on eu le désir ou le besoin de traduire cette puissance (réelle ou supposée) en réalisations de monuments matériels à leur gloire (avec plus ou moins de succès).
Louis XIV compris très tôt que le prestige de la personne royale dépendait en partie du faste dont s’entoure le souverain. Aussi avant de faire du petit château construit par son père à Versailles la résidence officielle de la cour, il a pris soin de faire construire tout autour une « enveloppe » dans laquelle il peut disposer d’un vaste appartement d’apparat nécessaire au prestige de la cour dont il entend s’entourer.
Le Roi souhaite évidemment impressionner les visiteurs. La Cour tout d’abord, à qui il impose cet exode à la campagne, mais également les visiteurs étrangers, afin qu’ils aillent crier haut et fort aux quatre coins de l’Europe que Louis XIV a le plus beau palais du monde. On peut souligner que château est alors déjà ouvert au « public », pour y pénétrer il « suffit » d’être habillé décemment et de porter une épée au côté. Si l’on ne dispose pas d’épée personnelle, accessoire réservé à la noblesse, on peut en louer une à l’un des marchands ambulant installé dans la cour du château)
Pour accéder à l’appartement du Roi que l’on appelle «Appartement des planètes » (parce que chaque salon porte le nom d’une planète : Vénus, Mars, etc.) le roi souhaite un escalier monumental qui pourra être le cadre de grandes manifestations à sa gloire. Conçu par l’architecte François d’Orbay et décoré de 1672 à 1679 par le peintre Charles Le Brun, sa dénomination lui vient du fait que les ambassadeurs auprès la cour de France y attendaient d’être reçus par le roi pour lui présenter leurs lettres de créance.
Description de ce petit joyau architectural
On accédait à l’escalier des Ambassadeurs depuis la cour royale en passant par trois arcades en pleins-cintres fermées par des grilles en fer forgé et doré. Après avoir franchi une sorte de vestibule on pénétrait dans la cage d’escalier à proprement parler. Il s’agissait d’un immense volume éclairé « à jour », c’est à dire par une verrière placée au centre du plafond, qui laissait pénétrer la lumière naturelle à l’intérieur ce qui était une véritable prouesse technique pour l’époque.
Un perron à pans coupés dont les marches étaient en marbre rouge du Languedoc, permettait d’accéder à un palier intermédiaire ou se trouvait une fontaine. De ce palier partaient deux volées de marches perpendiculaires au perron et chacune desservait un salon de l’appartement du Roi : d’un côté sur le salon de Diane, de l’autre, le salon de Vénus, voisin.
La très riche décoration rivalisait avec celle de la grande galerie dont l’escalier était le pendant. Situés chacun à une extrémité de l’appartement royal, ils constituaient respectivement le point de départ et le point d’arrivée de ce parcours destiné à mettre en scène la grandeur royale. Le décor peint par Le Brun dans l’escalier, à l’instar de celui de la grande galerie (que l’on appelle pas encore « des glaces » à l’époque) illustrait également les grandes victoires de Louis XIV. Tous les marbres utilisés pour la décoration provenaient de carrières françaises (résultat de la ferme volonté de Colbert de ne plus dépendre des puissances étrangères et notamment de Venise pour les produits manufacturés de luxe).
Au-dessus de la niche centrale abritant la fontaine, un buste de Louis XIV par Jean Varin, réalisé en 1665 attirait obligatoirement l’œil du visiteur, car il était l’unique tâche blanche dans cette composition polychrome (quand je vous parlais de mise en scène de la personne royale). Il fut remplacé ensuite par un autre buste de Louis XIV réalisé par Antoine Coysevox qui devait plaire d’avantage au Roi.
Si l’architecture de l’ensemble est classique, elle ne manque pas de ménager quelques effets typiquement « baroques ». Van der Meulen y avait en effet peint des fresques imitant des tapisseries et représentant la prise de Valenciennes (17 mars 1677), la bataille de Cassel (11 avril 1677), le siège de Cambrai (19 avril 1677), et la prise de Saint-Omer (22 avril 1677). Dans des trompe-l’œil, on voyait divers spectateurs de nationalités indienne, perse, grecque, arménienne, moscovite, allemande, italienne, hollandaise et africaine. Les populations de chaque continent étaient rassemblées dans des galeries en perspective. Une manière de montrer que la gloire du Roi est universelle et qu’elle rayonne bien au delà des frontières du royaume.
L’ensemble formait un volume théâtral très propice à la mise en scène. La célèbre peinture de Jean-Léon Gérome en tête de cet article qui représente la Réception du Grand Condé par Louis XIV. Une toile qui ne date il est vrai que de 1878 mais qui illustre très bien l’atmosphère des cérémonies d’alors (même si les marches blanches sont une erreur du peintre).
L’escalier servira quelquefois sous Louis XIV comme lieu de concert. Louis XV ensuite y fera construire un théâtre pour Mme de Pompadour en 1748 et dénommé théâtre des Petits-Cabinets avant de le faire détruire en 1752 pour aménager un appartement pour sa fille Mme Adélaïde qu’il ne tardera pas au final à récupérer pour son propre usage.
Mais l’escalier des Ambassadeurs n’avait pas dit son dernier mot! En effet, bien longtemps après sa destruction, ce lieu qui pendant soixante ans fut l’incarnation du faste et la grandeur de la France du « grand siècle » fut copié ou réinterprété dans des bâtiments aux destins divers.
Qu’ils aient été créés pour satisfaire la vanité de commanditaires privés ou placer des édifices publics dans le lignage du grand siècle, je vous propose ici un petit tour d’horizon de ces petits avatars architecturés.
1876 – le palais d’Albert de Rothschild à Vienne
Le Palais construit pour Albert de Rothschild était l’un des 5 palais de la branche autrichienne de la Célèbre famille de financiers. Il a été dessiné et construit par l’architecte français Gabriel-Hippolyte Destailleur entre 1876 et 1884, Il sera malheureusement détruit en 1954.
Destailleur réalise ici une sorte de condensé de l’architecture française avec des façades renaissance côté cour, classiques sur jardin, et des intérieurs pour le moins « éclectiques ».
Pour l’escalier d’honneur, situé au centre du bâtiment et chargé théâtraliser tout l’espace. L’architecte propose une adaptation intéressante de l’escalier des Ambassadeurs. Moins large que l’original, le mur du fond de la cage comporte 5 travées (ou compartiments) principales au lieu de 7. Depuis le centre, la travée centrale est occupée par une large peinture. Les deux suivantes sont ornées de miroirs compartimentés. Enfin les deux autres sont occupées par les portes palières. Il est à noter que la voute du plafond qui à Versailles couvre tout l’ensemble ne couvre ici que la cage d’escalier à proprement parler. Les paliers latéraux, plus bas de plafond sont séparés de la cage par des colonnes corinthiennes cannelées. Une version qui prend certes des libertés sur l’original mais qui au final en est presque « architecturalement » plus réussie.
1878 – le Versailles Bavarois de Louis II
En 1867, le roi Louis II de Bavière visite le château de Versailles lors d’un séjour en France. Il développe alors une admiration sans bornes pour Louis XIV. Il décide alors de faire construire son propre château de Versailles (bah tiens). Aussi Louis II acheta-t-il, en septembre 1873 l’île de « Herrenchiemsee » pour y débuter en 1878 la construction d’un « Versailles bavarois ».
La première pierre fut posée le 31 mai 1878 et les travaux sont rapides. Au bout de sept ans pourtant, tout s’arrête faute d’argent. Mais Louis II peut tout de même s’installer dans son palais ou ses appartements sont terminés (en fait ce sont même les seules pièces achevées). Le plus incroyable de l’histoire est certainement le fait que le souverain ne séjournera en tout et pour tout que… 16 jours à Herrenchiemsee (Plutôt royal le caprice).
L’intérieur du palais n’est pas une reproduction à l’identique. C’est un Versailles idéalisé par Louis II que ses architectes ont la mission de réaliser. Les pièces principales débouchent sur la galerie des glaces, avec à ses extrémités les salons de la paix et de la guerre, qui occupe toute la partie avant du palais sur une longueur totale de 98 mètres, soit 25 m de plus que le modèle original versaillais ! (toujours ce souci des hommes et de la taille…). Les appartements privés eux, comprennent une salle de bains, une salle à manger dont le décor reprend celui de l’hôtel de Soubise à Paris (voir l’article consacré) et pourvue d’une table qui s’escamote dans le sous-sol grâce à un mécanisme hydraulique.
L’Escalier des Ambassadeurs est cependant assez fidèle à l’original tant dans la décoration que dans l’architecture générale. Seule la verrière assurant l’éclairage zénithal est beaucoup plus grande mais il est vrai qu’au XIXe siècle les techniques de construction dans ce domaine avaient considérablement évoluées et Louis II put se permettre ce que Louis XIV ne pouvait pas (la classe !). Petit bémol, la couleur des marches n’est pas la bonne, dans la version originale elles sont en marbre rouge et non blanche. Mais il est vrai qu’à l’époque, les architectes ont certainement travaillé à partir de gravures, alors je propose qu’on leur pardonne.

1896 – Le Palais Rose de Boni de Castellane à Paris
Quelques années plus tard, l’architecte Ernest Sanson construit pour le comte Boniface de Castellane et son épouse née Anna Gould un hôtel patriculier (peut-on encore lui donner ce nom ?) que l’on appellera bien vite le « Palais Rose »
Issu d’une très ancienne famille aristocratique française, Célèbre Dandy, homme de goût et collectionneur, Boni de Castellane va être l’un des premiers aristocrates européens à faire ce qu’on appel un « mariage transatlantique » avec une riche héritière américaine pour redorer son blason (12 millions de dollars de dote ça rend tout de suite plus attrayante). Elle a l’argent, il a le titre, le goût et surtout la folie ! Il n’en faudra pas plus (enfin c’est déjà pas mal) pour faire sortir de terre en 6 ans un Hôtel sans équivalent. La façade sur l’avenue Foch était très directement inspirée du Grand Trianon, dont elle reprenait les baies en plein cintre, les pilastres de marbre rose, la balustrade dissimulant les toitures et jusqu’aux ferronneries.
A l’intérieur, après avoir traversé un grand vestibule dallé et décoré de marbres polychromes, apparaissait, grandiose et hors d’échelle le grand escalier d’honneur. Pièce maîtresse du palais, magistrale adaptation de l’escalier de Versailles. Si l’on observe le volume occupé par l’escalier, relativement à la surface totale de l’hôtel, on comprend vite que plus que le centre de toute la composition, il en est en fait l’élément essentiel. Toute la distribution des pièces part de lui et est entièrement destinée à la mise en scène d’une vie mondaine éclatante.
Le souci du détail avait été poussé à l’extrême, jusqu’à utiliser des marbres issus des mêmes carrières que celles de Louis XIV. Les loggias qui à Versailles sont en trompe l’œil, forment ici une véritable loggia permettant de placer des musiciens les soirs de fêtes.
Malheureusement, cet ensemble incroyable sera détruit en 1968 après des débats houleux. Malraux refusera de classer le bâtiment par manque « d’intérêt archéologique » le patrimoine de cette période était alors encore peu considéré. Aujourd’hui à la place du Palais se trouve un immeuble de « standing » d’une banalité sans nom.
1904 – L’hommage d’un anglais francophile
En 1871 Isaac Merritt Singer, le fondateur de la célèbre compagnie de machines à coudre achète le domaine de Fernham et y construit une vaste maison de campagne.
Son fils, Paris-Eugene Singer, passionné par la France et sa culture (même si visiblement il a pas du tout comprendre) transforme largement la demeure entre 1904 et 1907. Il s’inspire de Versailles (pour faire origina) pour l’intérieur tandis que l’extérieur est sensé évoquer l’architecture de la place de la concorde de Gabriel (en fait c’est plutôt un carnage).
Comme au palais Rose, l’élément essentiel de ces travaux est la construction d’une réplique de l’escalier des Ambassadeurs de Versailles. Une réplique au demeurant assez réussie à un détail près : le vaste mur du fond, au lieu d’être divisé en plusieurs travées est occupé par une immense peinture représentant « Le sacre de Napoléon »… Pour le coup, on ne comprend pas trop ce que cela vient faire ici, mais après avoir vu les façades, on n’est plus à ça près.
Bref, un bouquet garni d’architecture française, plein d’humour anglais : Shoking !
Pour l’anecdote : la toile du sacre qui se trouvait à l’origine dans l’escalier était bien l’une de celles réalisées par David. Elle fut rachetée par l’Etat français en 1946 (visible à Versailles aujourd’hui), et remplacée par une copie en 1995.
1910 – le palais d’Egmont à Bruxelles
La version belge de notre fameux escalier est due à la famille d’Arenberg qui possédait à Bruxelles le palais d’Egmont.
Dans la nuit du 22 au 23 janvier 1892, le palais fut ravagé par un incendie qui fit disparaître la partie la plus ancienne des bâtiments. La reconstruction en 1906-1910 de l’aile droite du palais se fit dans le même style classique que l’aile gauche édifiée plusieurs dizaines d’année auparavant. Mais pour le grand escalier d’honneur c’est évidemment de l’escalier des Ambassadeurs du Château de Versailles que l’on s’inspire.
Mais on note tout de même des différences importantes. Une large loggia centrale qui permet à un orchestre de prendre place. Les pilastres n’encadrent pas des bas reliefs ou peintures en trompe l’œil mais des tapisseries et le plafond n’est pas peint mais orné de stucs. L’escalier est moins large que l’original, ce qui a obligé l’architecte à couper sa volée de marche en deux à mi chemin pour faire un quart de tour et ainsi déboucher sur une autre loggia à colonnes, sorte de galerie ornée de marbres depuis laquelle l’on peut admirer l’ensemble.
Cette somptueuse réplique, tout en marbre, accueille les personnalités lors de certaines grandes rencontres politiques internationales qui se tiennent à Bruxelles.
1934 – hôtel de ville de Puteaux
Le besoin de faire référence des lieux emblématiques ne s’est pas évanouie avec la belle époque. Preuve en est le travail des frères Niermans pour l’hôtel de ville de Puteaux. Un édifice représentatif du néoclassicisme triomphant de l’époque, dans la veine du palais de Chaillot ou du palais de Tokyo.
Pour ce vaste ensemble municipal, les architectes nous offrent une interprétation art-déco du classique versaillais. Une version dépouillée de l’escalier des ambassadeurs conduit à une vaste galerie qui possède elle aussi ses « glaces ». Si le style est évidemment très différent des pastiches de la fin du siècle précédent, il suffit de regarder le plan du bâtiment, et notamment la première volée de marches à facettes, pour comprendre la citation.
1934 – Une ambassade à Ankara
Une dernière pour la route ? En 1934, Albert Laprade, qui a également construit le Palais de la porte dorée à Paris, est chargé d’édifier l’ambassade de France à Ankara la nouvelle capitale turque. Evidemment, quoi de mieux que l’escalier des ambassadeurs pour une ambassade et évoquer la grandeur de l’art français ! Cependant, du modèle versaillais, l’architecte ne conserve que la structure, et l’ensemble est recouvert de marbre blanc monochrome et ceinturé d’une galerie à fines colonnes carrées. Seules des tapisseries contemporaines viennent réchauffer un peu cette version somme toute un peu « terne ».