Le salon de la Princesse de Soubise – ancien hôtel des Princes de Soubise, actuelles Archives nationales – Paris
Comme nous avons pu le voir dans l’article consacré à l’escalier des Ambassadeurs de Versailles, certains décors ont acquis avec le temps une telle notoriété, qu’ils furent par la suite largement repris ou copiés.
Considéré – a juste titre – comme un chef-d’œuvre, certainement le plus abouti et représentatif du style « Rocaille » français (on peut aussi dire Rococo) : Le salon de la princesse de Soubise est de ceux là.
Il se trouve en plein cœur de Paris, dans l’ensemble de bâtiments qui constitue aujourd’hui les Archives nationales à Paris et se visite très facilement.
Petite remise en contexte : En 1732, Hercule de Mériadec, héritier de la fortune des princes de Soubise (et qui a déjà plus de 60 ans…) épouse en secondes noces une jeune veuve de 19 ans : Marie-Sophie de Courcillon. Galant homme – et sûrement conscient des réticences que pourrait éprouver la jeune fille à son égard – il décide de lui offrir en « compensation » un cadre de vie d’un extrême raffinement et à la pointe de la mode ! (Un peu en mode Sugar Daddy ?).
Le prince demande alors à son architecte, Germain Boffrand, de diriger les travaux et d’engager les plus talentueux artistes de l’époque (Boucher, Van Loo, Natoire, Verbecht) pour créer des décors exceptionnels. Ils vont unir leurs talents pour réaliser les décors de plusieurs pièces qui forment encore aujourd’hui un ensemble d’une force esthétique rare et dont l’enfilade principale a « presque » intégralement traversée le temps jusqu’à nous.
Le salon de la princesse, le chef d’œuvre de l’ensemble
De tous les nouveaux décors réalisés à cette occasion, le plus incroyable est certainement celui du salon de la princesse. Pièce d’angle nouvellement créée, assurant la jonction entre son appartement d’apparat et ses appartements privés, il est incontestablement le clou de l’enfilade.
Boffrand fait appel pour ce salon à Boucher, Natoire, Et Van Loo, pour les décors peints tandis que les boiseries finement sculptées sont certainement dues aux ciseaux de Verbecht.
La forme ovale de la pièce est propice à l’élaboration d’un ensemble décoratif chantourné, où stucs boiseries et peintures s’unissent pour abolir tout compartimentage de l’espace. En bref, la jonction entre le mur et le plafond se fait sans rupture nette, en suivant les courbes et contre-courbes des panneaux de boiseries et des surfaces peintes. Même la corniche « ondule » avec une telle amplitude qu’on ne sait finalement pas vraiment ou se terminent les murs et ou commence le plafond. Les huit peintures de Natoire qui prennent place dans des cadres au contour particulier illustrent huit épisodes de la vie de psyché, célébrant ainsi la jeunesse et la beauté de la nouvelle maîtresse des lieux (Plutôt habile de la part du vieux Prince).
Rocaille, genre caillou ? Oui, à peu près.
Une rocaille désigne originairement les petits cailloux, coquillages et coraux, qui servent à orner une grotte, à faire des « rochers », c’est-à-dire des constructions imitant une grotte ou un rocher, à vocation décorative que l’on fait dans les jardins, pour leur donner une apparence plus pittoresque (comme au petit Trianon par exemple).
Le style dit « Rocaille », Régence (nous sommes sous la régence du duc Philippe d’Orléans, Louis XV est trop jeune pour régner), ou encore rococo (appellation qui ne date que du XIXème siècle) est donc un style qui s’inspire de la fantaisie des lignes contournées et des volutes des coquillages avec leurs enroulements souvent asymétriques. Ce motif sera utilisé pour les décors muraux, mais également le mobilier, les objets d’arts et l’orfèvrerie. Là où il est le plus facile de le remarquer d’emblée est souvent le centre du bandeau des cheminées (la surface horizontale au dessus du foyer).

Décor réussi, maintes fois reproduit
Une telle réussite ne passa évidemment pas inaperçu à l’époque, mais c’est surtout après la Révolution que ce salon devint presque le symbole de tout l’art de vivre du XVIIIème siècle. En effet le salon de la princesse de Soubise c’est tout l’éclat de la haute Noblesse, ce sont les princes du Sang, ce sont les meilleurs artistes au service d’un prince, ce sont des décors qui raisonnent encore des symphonies de Gossec (compositeur du prince) ou des quatuors de Saint Georges (professeur de clavecin de Marie-Antoinette et premier compositeur noir connu).
Alors avec le retour en grâce du style louis XV à partir du milieu du XIXème siècle, beaucoup d’aristocrates ou de grands financiers vont demander aux architectes en vogues et spécialisés dans ce que l’on a trop longtemps considéré à tort comme de simples pastiches, des répliques plus moins libres de ce fameux salon, plaçant ainsi le commanditaire concerné dans une sorte de filiation artificielle, mais efficace.
La salle à manger de Louis II de Bavière au château de Herrenchiemsee – 1878 – Georg von Dollmann
Louis II de Bavière, surtout connu pour les incroyables châteaux qu’il se fit construire et qui causeront sa perte, eu la folie de faire construire sur l’île de Herrenchiemsee une réplique du corps central du château de Versailles. Un tour de force plus vraie que nature, avec galerie des glaces, salon de l’œil de bœuf etc…
Ce qui est surprenant c’est que au milieu de cette reprise de décors royaux, se glisse un décor princier (certe largement au niveau). En effet c’est une réplique du décor du salon de l’hôtel de Soubise qui est choisi pour la salle à manger privée du roi. Une version quasi identique mais néanmoins surchargée (si si c’est encore possible) d’éléments décoratifs supplémentaires (angelots, entrelacs de fleurs dorées etc.). Détail intéressant, la table de est placée sur une machinerie qui lui permet de disparaître dans le plancher, d’être dressée à l’étage inférieur et de réaparraitre ainsi directement au centre de la pièce. Un dispositif à l’origine imaginé pour Louis XV au petit Trianon mais qui ne sera finalement jamais achevé.

Hotel Singer Polignac : Grand salon – autour de 1910
A l’hôtel Singer Polignac c’est le grand salon qui fut traité dans un décor inspiré de Soubise mais nous sommes au début du 20ème siècle et l’influence art nouveau se fait sentir. L’harmonie des couleurs, faux marbres noirs, violet et grisailles noir et or, donnent un caractère plus « moderne » à cette version.
Musée des arts décoratifs de Buenos-Aires – 1911 – René Sergent
Au début du XXème siècle Buenos aires fait figure de « Paris d’Amérique latine » et de nombreux mariages transatlantiques font que la haute société locale cherche à calquer son mode de vie sur celui de la France qui sert encore à cette époque de modèle en matière de gout et de luxe.
Aussi lorsque la famille … décide de faire construire une demeure digne de sa réussite, ils font appel à l’architecte français René Sergent pour réaliser un hôtel dans le gout de Gabriel et dont les décors sont un petit condensé des arts décoratifs français.
C’est la salle de bal qui sera traitée à la manière du salon de Soubise. On reconnaît bien la structure des boiseries, mais les lignes sont simplifiées et aucune peinture ne prend place dans les écoinçons. La forme rectangulaire de la pièce la fait d’avantage ressemble r à une galerie qu’à un salon.
Aujourd’hui cet hôtel abrite le musée des arts décoratifs de la ville (et s’y prête merveilleusement)
Théâtre de l’Athénée à Paris
Inauguré en 1896, le théâtre de l’Athénée à Paris est l’un des plus beaux théâtre à l’italienne que l’on peut voir à Paris. Son entrée dans un square qui n’a pas bougé depuis la fin du XIXème siècle nous transporte d’emblée dans un décor de théâtre. Le décor de la salle, ecclectique à souhait fait la part belle à la fée électricité qui venait de faire sa fulgurante apparition dans la ville lumière. Le décor du plafond reprend celui de l’hôtel de Soubise et son compartimentage en parts de tartes dans une version il est vrai un peu plus tapageuse (enfin si on peut dire).


Hôtel de Béhague à Paris – grand salon – Walter-André Destailleur – 1904

A l’Hôtel de Béhague, aujourd’hui ambassade de Roumanie, l’architecte Walter-André Destailleur (l’un des architectes favori de la haute société pour ses créations inspirées des meilleurs réalisations du XVIIIème siècle) s’inspire lui aussi de l’hôtel de soubise pour la salle de bal de Mme de Béhague. Cependant, l’originalité de cette version est que pour créer cette évocation du salon de la princesse, il va utiliser des morceaux de boiseries anciennes de diverses provenances, les assembler, les faire compléter, pour arriver à ce superbe ensemble dans des tons vert et or extrêmement raffiné. Ici non plus, pas de peintures dans les écoinçons des doubles guirlandes de fleurs dorées surmontées d’aigles aux ailes déployées. On peut noter que les ondulations de la corniche se sont « assagies » par rapport à la version originale.
Perry Belmont Mansion Washington – 1909 – Horace Trembauer
Horace Trumbauer est l’un des plus célèbre architecte du « gilded-age » américain. Toutes les grandes familles américaines (Astor, Vanderbilt etc.)
ont eu recours à ses services pour la construction de leurs hôtels (ou Mansions comme ils disent) à New-York ou pour leurs résidences estivales notamment à Newport. A Washington D.C., pour Perry Belmont, il réalise un hôtel particulier dans un style très parisien sur une parcelle triangulaire dont il tire un parti assez théâtral. Très proche de l’hôtel Lebaudy situé avenue Georges V à Paris (détruit). L’avant de l’hôtel est occupé par un salon oval au décor identique à celui de l’hôtel de soubise. L’ensemble dégage une harmonie blanc et or de laquelle sont absentes les peintures des écoinçons et du faux ciel. L’espace entre chaque travée étant assez mince, les panneaux latéraux sont presque réduits à l’état de pilastres. On reconnaît par contre bien le compartimentage rayonnant identique à celui de Soubise et qui va de la corniche à la rosace centrale. Conférant ainsi à la salle son aspect de « cage dorée ».

Clark Mansion NYC – 1911 – NYC – Kenneth MacKenzie
Toujours aux Etats-Unis mais à New-York cette fois-ci, le long de la cinquième avenue se dressait autrefois la Clark Mansion. L’architecture générale (un peu lourde) était inspiré de l’aile Richelieu du Louvre. A l’intérieur, parmi de nombreuses pièces à la décoration éclectique se trouve un Petit salon, oval, lui aussi copié sur celui des Soubise. On notera que la manière de traiter le plafond, avec une résille régulière donne une caractère « transition » à ce salon Rocaille. Malheureusement l’édifice fut détruit dans les années 1927 (très ephémère donc….)

Hotel de Yturbe – Ferdinand Gaillard – vers 1895 (détruit)
Construit pour Manuel de Yturbe, ambassadeur du Mexique à Paris, le grand salon de cet hôtel aujourd’hui détruit est une vaste pièce rectangulaire ou là encore, le décor est calqué sur celui de l’hôtel de Soubise. C’est d’ailleurs l’une des rares versions à reprendre l’idée des bustes sur consoles placés en dessus de porte. La cheminée est quant à elle est inspirée de celle de la galerie dorée de la banque de France (ancien hôtel de Toulouse).
Palais de Pszczynia – Pologne – 1875
Un peu plus loin, en Pologne, aux alentours de 1875, le château de Pszczynia dont la majeure partie date du XVIIe siècle est remodelé et augmenté d’une vaste salle de bal/concerts dont le décor s’inspire là encore de l’hôtel de Soubise. Cependant la gamme de couleurs rouge et noir produit un effet décoratif à l’atmosphère très différente de l’original, plus proche de ce qui sera réalisé à l’hôtel Singer Polignac. On peut également noter le changement d’échelle puisque le salon occupe deux niveaux du château.
Hôtel Régina, Salle à manger coté Rivoli – 1900
Situé rue de Rivoli, l’hôtel Régina est un des grands hôtels parisien qui a ouvert ses portes à l’occasion de l’exposition universelle de 1900. Et 1900, le décor l’est forcément. Allant du neo louis XV à l’art nouveau, le restaurant coté rue de Rivoli n’est autre qu’une version un peu «pâtisserie » du décor de Soubise.
Hôtel Elysée palace : Grand Hall – 1899 – transformé en immeuble de bureaux
Peu de gens savent que le magnifique immeuble situé au 103 avenue des Champs-Elysées et qui abrite aujourd’hui les bureaux de HSBC fut autrefois un hôtel de luxe, l’Elysée palace hôtel. Le grand hall central, dont le décor a malheureusement aujourd’hui entièrement disparu, s’inspirait lui aussi du salon de la princesse de Soubise, ou plus exactement de celui du prince en fait. Puisque au lieu des peintures se trouvaient des bas reliefs en plâtres très proches de ceux réalisés pour le Pince dans le salon équivalent à celui de son épouse et situé juste au dessous. Il n’y a qu’à comparer les illustrations.


Salle à manger de l’hôtel Ritz à Paris

Le célèbre hôtel de la place Vendôme à Paris ne déroge pas à la règle de cette série d’établissements qui pour mieux plaire à une clientèle raffinée et érudite reproduisent les décors dont elle est déjà familière.
Aussi, pour la salle à manger de son hôtel, César Ritz fait-il le choix d’un décor très proche de celui de l’hôtel de soubise même si il ne s’agit dans le cas présent que de moulurations en stucs et non de boiseries et de peintures. L’ensemble, auquel on a pris soin de joindre des miroirs et un mobilier raffiné, permettent d’emblée de créer un ensemble au luxe convainquant qui deviendra très vite le rendez-vous du tout Paris de l’époque.
Conclusion
La liste pourrait continuer ainsi encore longtemps (je crois), si l’on considère les espaces inspirés par le salon de la princesse de Soubise sans en être des reproductions à proprement parler. Un bon nombre d’hôtels particuliers d’un côté ou de l’autre de l’Atlantique puisent en effet leur inspiration dans ce décor majeur du règne de Louis XV. Une reconnaissance à la hauteur de cette remarquable création de Boffrand et de ses collaborateurs, certainement inconscients de l’importance symbolique que la postérité accorderait à leur œuvre. Nous ne pouvons qu’être amusé, à l’heure ou internet rend extrêmement facile et rapide les comparaisons de voir la multitude et la diversité des variantes qui ont pu être proposées de ce décor un peu chargé, certes, mais destiné à l’origine à réconforter une jeune princesse de son mariage avec un prince de 40 ans son ainé.