Le 7 mai 2017 les français ont élu Emmanuel Macron à la présidence de la République française. Le palais de l’Elysée est désormais son lieu de travail quotidien, sa résidence officielle (s’il en a fait le choix) ainsi que le cadre des réceptions et événements officiels divers liés à la fonction présidentielle.
Mais au fond, ce palais tellement « particulier », entouré de son halo de mystère était-t-il destiné à devenir la « première maison de France » ?
Penchons nous un peu sur l’histoire de celui qui est devenu palais présidentiel presque par hasard après bien des aléas de l’Histoire et je dirai même au final, bien malgré lui.

Portrait du Régent par Santerre (1717)
1715 : Le roi est mort.
Lequel ? Louis XIV bien-sûr, et son arrière petit fils Louis XV qui n’a que 5 ans n’est évidemment pas en âge de régner. Une Régence est alors mise en place et c’est au duc d’Orléans qu’est confié le pouvoir jusqu’à la majorité du Roi. Le Régent est considéré à juste titre par ses contemporains comme un grand débauché, mais il est également un très habile homme politique. Sa première décision officielle (au soulagement de beaucoup de courtisans épuisés de 40 d’exils Versaillais) sera l’abandon pur et simple de Versailles comme capitale du royaume et le retour du gouvernement à Paris (ou il a ses habitudes…).
Une grande transhumance d’aristocrates en mal de logement à Paris s’opère alors et ainsi débute l’histoire de ce qui deviendra le palais de l’Elysée que vous connaissez. Henri-Louis de la Tour d’Auvergne, comte d’Evreux ne possède pas de demeure à Paris, Il cherche donc un terrain pour y construire un hôtel digne de son rang. Cependant, et bien qu’il dispose de la fortune colossale de sa femme, la fille du riche financier Crozat, son avarice va le pousser à investir dans ce qui n’est encore qu’un marais extérieur à la ville plutôt que dans le quartier du faubourg saint-Germain, certes déjà très à la mode mais par conséquent… plus cher.
Suivi par quelques téméraires il va alors tout miser sur des terres encore sauvages et dit-on mal famées une fois la nuit venue. Et Il aura raison! En 20 ans une 15aine d’hôtels particuliers prestigieux sont construits. La plupart sont devenus de prestigieuses ambassades comme celle du Japon, de la Russie ou encore d la Grande-Bretagne pour ne citer que les principales.
Bref. Le Comte a acheté la plus vaste des parcelle disponible dans la zone à un architecte, Armand-Claude Mollet qui n’accepte la transaction à condition d’être l’architecte du futur hôtel à bâtir (bah tiens).
La parcelle est d’une taille exceptionnelle même pour un faubourg. Elle permet à l’architecte de concevoir un bâtiment qui s’apparente en fait plus à une maison de campagne luxueuse qu’à un hôtel parisien traditionnel « entre cour et jardin ». On observe le même phénomène à l’hôtel Biron (actuel musée Rodin ).

Zoom sur l’hôtel d’Evreux – extrait du plan Turgot de 1739

Côté architecture, l’architecte s’inspire (ou copie, soyons honnête) d’un château construit 20 ans plus tôt à Champs-sur-Marne et dont l’avant-corps central est identique… Sachant que ce même château était inspiré de celui d’Issy-les-Moulineaux… bref rien de très nouveau mais le comte d’Evreux n’étais certainement pas du genre à se risquer à jouer les avant-gardistes.
Une favorite, un financier, et une princesse du sang révolutionnaire!

Madame de Pompadour par Maurice-Quentin de la Tour – 1755
A la mort du Comte d’Evreux en 1753 l’hôtel est acheté par la marquise de Pompadour (duchesse de Pompadour depuis peu si nous vouons être exact). son statut « d’amie nécessaire » de Louis XV (ils ne couchent plus ensemble mais il tient à sa présence réconfortante à la Cour) lui donne d’avantage de liberté et elle est séduite par cet emplacement à la lisière de la ville qui lui évite de subir les insultes continuelles des parisiens qui la détestent. A sa mort en 1764, elle lègue l’hôtel au Roi (juste retour des choses vous me direz… ) qui en fait une résidence à disposition des ambassadeurs extraordinaires de passage à Paris. Il sera utilisé comme garde meuble temporaire le temps que les nouveaux bâtiments conçus à cet usage (plus connus sous le nom d’hôtel de la Marine) place Louis XV (Concorde actuelle) soient terminés.
En 1773, Nicolas Beaujon, un riche financier, rachète l’hôtel au Roi. Il y fait faire d’importants travaux sous la direction du grand architecte et théoricien Etienne-Louis Boullée. Il y installe son immense collection d’oeuvres d’art et ses bureaux. Les jardins à la française démodés, sont remplacés par des allées sinueuses à l’anglaise. Un lac artificiel est même creusé! Avant de mourir, Beaujon réussi à convaincre Louis XVI de lui racheter l’hôtel alors que la couronne n’en a aucunement besoin. Heureusement pour Louis XVI, sa turbulente cousine, Bathilde d’Orléans, duchesse de Bourbon propose de lui racheter cet hôtel superflue. L’hôtel d’Evreux, devenu hôtel Beaujon devient alors un hôtel princier et s’appellera désormais hôtel de Bourbon.
Bien qu’elle soit une aristocrate « éclairée » qu’elle ait favorisée et soutenue la Révolution des lumières, sans oublier qu’elle est la soeur de celui qui, comme elle, a opportunément changé son nom en Philippe Egalité (elle avait choisie « citoyenne vérité »), Bathilde d’Orléans sera arrêté pendant la Terreur en 1793 et tous ses biens seront confisqués. L’imprimerie nationale s’installe alors tant bien que mal dans les communs et on organise les ventes aux enchères des meubles et objets d’arts saisis aux aristocrates émigrés dans les salons.
La chute de Robespierre lui évite de peu l’échafaud et elle récupère un hôtel en piteux état. Ruinée, elle met en location la majeure partie du bâtiment afin de subvenir à ses besoins. Finalement expulsée vers l’Espagne par le Directoire en 1797, c’est un de ses locataires qui achète alors l’ensemble et le transforme en établissement « de plaisirs », c’est-à-dire une sorte de fête forai en dur ou l’on danse, profite d’attractions et de restaurants. Plutôt populaire les premiers temps, le lieu décline rapidement face à la concurrence des établissements situés sur les grands boulevards. Au bord de la faillite, le propriétaire cherche à s’en défaire à tout prix et cherche l’acquéreur idéal.
« Encore cette peste de Caroline! »

Caroline Murat dans le salon d’argent
Cet homme providentiel, fils d’un aubergiste de Cahors, ce sera Johachim Murat. Il est l’archétype même de cette nouvelle noblesse d’Empire, aussi riche qu’improvisée. Maréchal de France, prince d’Empire il est surtout l’époux de Caroline, le sœur de l’Empereur Napoléon Ier. Les Murat débarrassent l’hôtel de tous les locataires parasites et remettent le bâtiment en état à grands frais sous la direction des architectes Barthélémy Vignon (futur auteur de la Madeleine) et Barthélémy Thibault. D’autant pus que l’Empereur (qui a financé en grande partie l’acquisition et les travaux pour satisfaire sa sœur), attend des Murat qu’ils y organisent de grandes fêtes en son honneur, mais sans le pesant protocole gui règne au palais des Tuileries.

La rampe de l’escalier d’honneur (détail)
C’est à cette époque que l’escalier d’honneur est créé (curieusement il n’y en avait pas). Bel exemple de ce nouveau style néoclassique très dépouillé, son principal ornement est la magnifique rampe constituée par des palmes en bronze dorés qui forment une élégante rampe. Caroline fait abattre plusieurs cloisons pour réaliser une salle de bal somptueuse, appelée de nos jours « salon Murat ».

le salon d’argent
Vers l’est, le long du mur de clôture, On aménage un nouvel appartement privé et à la dernière mode. Il se termine par un salon dont les boiseries blanches sont rehaussées – chose rarissime – non pas d’or mais d’argent d’ou son nom.
C’est dans ce salon d’argent que Caroline organisait en secret des rendez-vous galant pour son frère, aux grand-dam de l’Impératrice Joséphine furieuse mais impuissante.
Ironie du sort, c’est dans ce salon que Napoléon signera sa deuxième abdication juste après les cent jours.
Mais pour l’heure, Napoléon affectionne la demeure de sa sœur. Aussi lorsqu’il confie à Murat le trône de Naples (Caroline rêvait d’être reine), Il exige en échange du couple qu’ils renoncent à tous leurs biens en France au profit de la couronne. Dè lors, l’Elysée deviendra le domaine privé de l’empereur, jusqu’à ce qu’il en donne l’usufruit à l’impératrice Joséphine après leur divorce en 1809.

Vous reprendrez bien du Bourbon?
La chute de Napoléon en 1814 entraine le retour des Bourbons. Louis XVIII (qui n’a pas d’enfants) met alors le palais à disposition de son neveu le duc de Berry. On le rebaptise alors aussitôt « Elysée Bourbon ».
Lorsque le duc est assassiné en 1820, est de nouveau consacré à l’accueil des souverains étrangers en visite en France.
Enfin un Président!!!
Oui, mais pas pour longtemps…
C’était encore son utilité en 1848 lorsqu’une autre révolution chasse du trône Louis-Philippe 1er, roi des Français et voit se mettre en place la seconde République. Ce régime, pourtant très bref, va donner au vieil hôtel un peu endormi l’occasion d’occuper le devant de la scène.
Evidemment, sinon ce n’est pas drôle, on lui donne un nouveau nom. L’Elysée Bourbon devient donc l’Elysée national. Mais attention, ce n’est pas un palais officiel, la vrai résidence des souverains dans la capitale reste le palais des Tuileries. Le gouvernement provisoire met alors en place une constitution qui instaure un chef exécutif portant le titre de « Président » élu par tous les français au suffrage universel. On décide que ce dernier sera logé « aux frais de la République » là ou siège l’assemblée nationale. Au dernier moment, on trouve que cette option manque de prestige et un article est ajouté à la hâte à cette loi stipulant que l’Elysée national sera le lieu de résidence du président de la nouvelle République. C’est donc une disposition prise un peu « à l’arrache » il faut l’avouer et dans un moment de panique, qui fait du palais de l’Elysée la première demeure de France.
Un palais comme tremplin pour ce « neveu de… »
Le premier président de cette seconde République, élu à une large majorité, n’est autre que Louis-Napoléon Bonaparte, le neveu de Napoléon Ier. Il portera du coup le titre de Prince-Président. Il accorde beaucoup d’importance à sa fonction et organise à l’Elysée de nombreuses fêtes qui préfigurent les fastes du second Empire. C’est d’ailleurs au cours de l’une d’entre elles que, dans le salon d’argent (là même ou son oncle fut contant d’abdiquer) que fut élaboré le fameux coup d’état évoqué sous le nom de code de « Rubicon ». Mené avec succès dès le lendemain, 2 décembre (jour anniversaire du sacre de son Oncle), l’événement fait de ce Prince-président un Empereur en bonne et due forme.
Pour l’anecdote, le choix symbolique du salon d’argent fera dire à Victor Hugo : « C’est à l’Elysée que Napoléon 1er a fini, et que Napoléon III a commencé. » la boucle est bouclée.

l’Elysée sous le second Empire
Désormais Empereur, Napoléon III entend bien s’installer aux Tuileries, palais qui reste dans l’imaginaire collectif le seul vrai palais de Paris. L’Elysée, qui n’avait été qu’une solution temporaire est dès lors, encore une fois, mis à la disposition des souverains étrangers en visite à Paris. On y organise d’ailleurs des fêtes superbes lors des expositions universelles de 1855 et 1867. Pour remplir au mieux cette vocation, on ajoute au palais une salle de bal plus grande que celle conçue pour les Murat (actuel salon Napoléon III), mais malheureusement on ceinture le parc d’une grande grille aveugle pour préserver l’intimité de ces invités de marques des regards indiscrets des parisiens? Mais juste retour de bâton, cela diminuera considérablement l’effet visuel offert par le palais du côté des Champs-Elysées. Le palais ne voit plus paris, paris ne voit plus le palais… c’est le commencement de fameux halo de mystère qui, justifié ou non, colle à la peau de l’Elysée.
The survivor!
En 1870, la défaite de la France à Sedan face à la Prusse ou Napoléon III est fait prisonnier (humiliation ultime) entraîne la fin du flamboyant second Empire. S’ensuivent les tragiques événements de la Commune de Paris qui refuse de se soumettre à l’ennemi. Lors de la tristement fameuse nuit qui verra partir en fumée tant de bâtiments officiels, symboles d’un pouvoir déchu et honni, le palais de l’Elysée n’est sauvé que par la malice de son gouverneur qui a l’idée de poser de fausses scellées aux couleurs du gouvernement fédéré sur les portes extérieures du palais. Personne ne pose de question et le palais est sauvé des flammes in extremis! Une chance que n’ont pas eu le palais des Tuileries, La conciergerie, l’hôtel de ville de paris… tant d’autres…
Quand on a pas ce que l’on aime, il faut aimer ce que l’on a…
Puisque Paris n’est plus qu’un champs de ruines, la toute jeune IIIe République se fixe temporairement à Versailles. Il est alors décidé que l’Elysée sera la résidence officielle du futur président de la République (en même temps c’est le seul palais à peu près convenable qui tienne encore debout).
Ce premier président sera le maréchal Patrice de Mac-Mahon (un monarchiste), duc de Magenta. Il est élu au printemps 1873 pour un mandat menant jusqu’en 1880. Ce chiffre rond a été stratégiquement mais arbitrairement fixé par les monarchistes, majoritaires à l’assemblée, qui pensaient ainsi avoir un temps suffisant pour rétablir la monarchie légitime au pouvoir (qui se soldera par l’échec de la montée sur le trône d’Henri V, comte de Chambord). Mine de rien, ce sera l’origine étrange du septénat.
Mac-Mahon s’installe à l’Elysée en 1874 avec le retour du gouvernement à Paris.
Les IIIe et IVe Républiques
Une « méga-ambassade » plutôt qu’un réel centre de pouvoir

La grille du coq en 1914
Depuis 1873, L’Elysée est donc la demeure du président de la République. Seulement à l’époque, son rôle est presque entièrement cantonné aux importantes et indispensables charges de représentation que la République impose pour assoir sa légitimité. Il n’a en fait un pouvoir réel que très limité.
Le palais qui avait déjà été aménagé comme un lieu de réception s’y prêtait parfaitement. Un certains nombre d’altérations vinrent quand même amocher la noblesse du lieu sur prétexte de confort.
On ajoute par exemple dans la cour d’honneur une immense marquise en métal et en verre façon hall de gare, masquant pour plusieurs décennies le fameux portique d’entrée. Côté jardin pour faciliter la circulation, on installe une galerie en bois recouverte certes de treillages mais qui masquait les fenêtres de tout le rez-de-chaussée.

intérieur de la salle des fêtes aménagée en 1889
L’électricité fait son entrée au palais ainsi que le téléphone. Pour l’exposition universelle de 1889 (celle de la tour Eiffel) on crée une nouvelle salle des fêtes afin d’augmenter la capacité des espaces de réceptions. En terme d’architecture ce n’est ni plus ni moins qu’un chapiteau en dur que l’on vient coller au jardin d’hiver. Prévue pour être démontée à la suite de l’exposition, on n’avait pas jugé utile de percer des fenêtres donnant sur le jardin! Presque 130 ans plus tard, elle est toujours utilisée de nos jours et à été maintes fois remaniées. La décoration de cette salle, très chargée voir un peu vulgaire si on la compare avec le raffinement des salons voisins est typique de la période.
Quant à la fameuse grille du Coq, elle sera créée pour l’exposition universelle de 1900 afin de donner un accès de prestige du côté des champs Elysées.

Je ne résiste pas à vous présenter en grand format ce plan du palais de l’Elysée sous la IIIe République. Premièrement par ce qu’il est très précis à la grande différence des plans schématiques plus largement diffusés. Ensuite par ce qu’il permet d’identifier la fonction précise de chaque pièce à cette époque et notamment l’emplacement presque marginal du bureau présidentiel dans l’aile Est. Et enfin, par ce qu’on a pris soin de faire figurer toutes les transformations réalisées au cours de la période, parfois clairement parasites disons le, tels que l’immonde marquise/vestiaire dans la cour d’honneur, ou la salle de fêtes dont on voit bien que la structure n’est en fait qu’une armature de fer de type « halles » et qu’elle a complètement encerclé le jardin d’hiver.
C’est la guerre !
Après le départ du gouvernement en juin 1940, le palais est mis sous scellés. Pendant 5 ans, vidé de ses meubles et de ses occupants le palais devient vaisseau fantôme. Il sera d’ailleurs un des rares bâtiments officiels à ne pas être réquisitionné par les allemands et passera la guerre sans dommages majeurs.
A la libération le général de Gaulle alors président du Conseil et ministre de la guerre décide de ne pas s’installer à l’Elysée. Déjà par ce que dans le contexte de pénurie extrême qui pèse sur la population il eut été indécent d’investir ce palais synonyme de fête et aux fastes, et ensuite par ce qu’il ne se considère pas comme le chef de l’Etat à part entière puisqu’il n’est le chef que d’un gouvernement « provisoire ».
Ses successeurs feront de même, ce qui laissera le temps au mobilier national de remeubler le palais pour le prochain président. Ce sera Vincent Auriol, élu en 1947 en tant que premier Président de la IVème République. il s’installera le soir même à l’Elysée.
Le fonctionnement de la IVeme République est quasiment identique à celui de la IIIème. Le président assure avant tout un rôle de représentation et de réception, il incarne la République mais son pouvoir réel est limité.

l’hideuse marquise de la cour d’honneur en cours de destruction

Le palais vu depuis la jardin. On observe l’absurde galerie de circulation en bois qui longeait le bâtiment sur toute la longueur pour plus de « commodité »
Le séjour du couple Auriol sera très bénéfique au Palais. L’épouse du président eut à cœur de supprimer tous les appendices ajoutés tout au long de la IIIème République sous prétexte de commodité comme la gigantesque marquise qui défigurait la cour d’honneur depuis presque 50 ans! Ou l’absurde chemin couvert longeant tout le palais côté jardin qui permettait aux personnes d’aller d’un salon à un autre sans passer par le salon central (eh oui, à l’Elysée, il n’y a pas de couloirs…). Pour l’intérieur, elle passa de nombreuses commandes officielles à des artistes et artisans pour favoriser la reprise de l’économie du luxe français. Fidèles à leur mission qui consiste à accueillir le séjour des souverains étrangers de passage, un double appartement royal fut aménagé dans la quasi-totalité du premier étage du corps central. Il servira à plusieurs occasions comme la visite du roi du Danemark, du sultan du Maroc, ou du roi et la reine d’Angleterre.

Passe la cinquième !
Seulement voilà, les instabilités ministérielles auront raison de la brève IVème République.
Une nouvelle constitution est mise en place et le premier président de cette Vème République, élu en 1958 sera le général de Gaulle qui s’installe à son tour dans ce palais de l’Elysée qu’à bien des titres pourtant il déteste…
Au delà de la question du gout qui n’est que subjective, de nombreux problèmes pratiques vont se poser. Car à la grande différence des deux précédentes constitutions celle-ci accorde des pouvoirs considérables au chef de l’Etat qui devient même la pièce maîtresse du jeu politique.
Or, nous l’avons vu, le palais de l’Elysée fut choisi, aménagé et utilisé jusqu’alors comme un espace de représentation lors des réceptions officielles, à l’accueil des hôtes de la France et comme résidence du chef de l’Etat.
Et c’est cette vitrine de l’art de vivre à la française, qu’il allait donc falloir tout à coup et sans préparation, transformer en siège de toute l’administration présidentielle d’une des premières puissances mondiales?

une conférence de presse un peu « à l’étroit » dans la salle des fêtes du palais à l’époque du général de Gaulle.
Concrètement, l’équipe du nouveau président comporte 35 personnes là ou celle de René Coty n’en comptait que 12… Le palais qui au fond n’est qu’un grand hôtel particulier est évidemment trop petit pour loger tous les services de la présidence. D’ailleurs la plupart des espaces sont inadaptés à leurs nouvelles fonctions. Alors très vite il est envisagé de transférer la présidence dans un lieu plus commode et propice à l’aménagement de bureaux modernes mais disposant néanmoins d’espaces suffisamment prestigieux pour les réceptions officielles. Le château de Vincennes est alors la solution prônée par le général de Gaulle. Le projet avortera suite à l’opposition des ministres trouvant que le nouveau site allongeait trop leurs trajets…
Faute de mieux, de Gaulle fera place nette. Il fait vider tous les appartements de « fonctions » que contenait le palais de leurs occupants et réquisitionna jusqu’au moindre espace libre.
On achète également deux hôtels particuliers de la rue de l’Elysée qui longe le palais, solution peu économique mais au moins on a de la place en plus, et émerge même le projet d’acheter toute la rue pour faire une sorte de Downing Street à la française.

Le salon doré, bureau du président depuis 1958
La réorganisation des espaces fut capitale. Au premier étage du corps central, la majorité des pièces étaient occupées par le double appartement royal et son fameux salon doré. Qu’à cela ne tienne, il fut décidé très vite que l’Elysée n’accueillerait plus les hôtes de la France mais que ce privilège leur serait désormais offert au grand Trianon (réaménagé pour l’occasion).
Presque tout l’étage du bâtiment principal fut ainsi libéré. De Gaulle décida de déménager le bureau présidentiel dans le salon doré (auparavant il se trouvait dans l’actuel appartement semi-officiel au rez-de-chaussée). Evidemment l’incongruité de la chose n’avait pas échappé au président qui n’aimait pas vraiment le style néo-rocaille assez tape à l’œil de ce salon, accumulation de motifs louis XV et Napoléon III dont subsistait le chiffre de l’Impératrice Eugénie aux dessus des portes ! Mais, ne considérant le lieu ni comme son chez lui (sa « vraie » maison c’est XXX) et n’ayant aucune volonté d’apposer sa marque » à un bâtiment séculaire, il ne changea rien ou presque aux décors existants.
quitte à prendre des vessies pour des lanternes…
Après de Gaulle, tous les présidents de la 5ème République feront le constat de cet endémique manque d’espace utile doublé d’une non fonctionnalité effarante de la plupart des espaces disponibles. Chacun tentera alors de trouver une solution à cet épineux problème sans finalement parvenir à une solution pérenne.
Le moindre recoin est transformé en bureau, souvent sans confort, la plupart du temps dans les anciens communs ou sous les combles. Un troisième hôtel particulier, rue de l’Elysée est également loué et lorsqu’en 1972 le baron Alain de Rothschild annonce qu’il veut vendre le magnifique hôtel Marigny voisin, l’Elysée est évidemment très intéressée. De Gaulle avait certes fait aménager le grand Trianon de Versailles pour les hôtes de marques, mais à l’usage, la distance fut jugée trop grande. Alors on débloque quelques millions supplémentaires et hop : l’Elysée se dote, sur le trottoir voisin, d’une somptueuse résidence pour les hôtes officiels de la France ainsi que d’une salle pour les conférences de presse en bonne et due forme (elles avaient lieu jusque-là dans la salle des fêtes du palais).
Georges Pompidou conservera l’organisation spatiale mise en place par le général de Gaulle, mais son épouse et lui, épris de culture contemporaine, feront réaménager les appartements semi-officiels du rez-de-chaussée par de grands artistes contemporains. L’opération fera scandale à l’époque, par ce que mal comprise par la population et mal comprise par ce que mal expliquée. Non pas que la disparition de décors napoléon III comme il en existe des centaines à Paris soit à ce point dommageable, mais par ce que cette rénovation visant à en faire une vitrine de l’art français, n’était pas adaptée à son statut d’appartement « semi » officiel. et renvoyait du coup l’image d’un président et de son épouse faisant réaliser pour leur propre usage des travaux correspondants à leurs goûts personnels.

Valérie Giscard-d’Estaing à l’Elysée
Valérie Giscard-d’Estaing fera de l’Elysée son lieu de travail mais pas sa résidence familiale officielle. Son épouse et lui n’occuperont que de manière occasionnelle l’appartement mis à leur disposition. Comme de Gaulle, il envisage sérieusement de déménager la présidence dans un lieu plus grand et surtout plus commode. En grand admirateur de Louis XV, c’est sur l’école militaire que se porte son dévolu. Le site est proche des ministères, dispose de vastes et somptueux salons de réceptions ainsi que de casernes faciles à transformer en bureaux modernes (sans parler la vue de puis le bureau d’honneur sur le champs de mars et la tour Eiffel). Le projet avorte pourtant lui aussi suite à la crise pétrolière qui frappe alors le pays.

Une salle de l’appartement privé du premier étage de l’aile Est aménagé par Starck à la demande de François Mitterand
François Mitterrand choisira également de ne pas vivre à l’Elysée ce qui ne l’empêchera pas de faire aménager l’appartement privé à sa disposition par plusieurs designers dont Starck. Dans ce domaine la démarche peut sembler encore plus incohérente que dans le cas du couple Pompidou puisque personne n’accède jamais à ces espaces alors que pour ces derniers « au moins » il s’agissait d’un appartement semi-officiel et non d’un appartement purement privé. Pour ce qui est du déménagement de la présidence de la République, lui c’est aux Invalides qu’il envisage de la transférer. Mais la conjoncture fait une fois de plus avorter le projet et il se contentera, maigre compensation, de faire harmoniser la disgracieuse façade de la salle de fête sur le jardin avec le reste du palais. On perce de nouvelles portes fenêtres sur le parc auquel la salle tournait le dos de manière absurde (en même temps le bâtiment était censé être temporaire…).
l’arrivée du couple Chirac marque un tournant dans l’organisation du palais. Comme à son habitude (ils ont occupé avec enthousiasme et longévité tous les appartements de fonction placés sur leur route) le couple s’installe en permanence à l’Elysée. La première des conséquences sera une forte diminution des ouvertures au public.
Les appartements privés sont alors réaménagés dans un style beaucoup plus traditionnel et la décoration est supervisée par Mme Chirac.
Je n’ai pas connaissance des modifications éventuelles réalisées sous les mandats des présidents Sarkozy et Hollande. Ce dernier qui avait dans un premier temps choisi de ne pas habiter le palais s’installera finalement sur place suite à sa séparation de Mme Trierweiler.
Visite Guidée
Maintenant que vous connaissez l’histoire du palais par coeur, voici un plan bien utile pour vous aider à vous repérer dans ce grand puzzle palatial.
Et comme une image vaut mieux qu’un long discours, je vous invite très chaleureusement cliquer sur le lien ci-dessous, proposé sur le site de l’Elysée et qui permet une visite virtuelle de l’ensemble des espaces principaux. Vous pourrez ainsi apprécier les articulations abruptes ou harmonieuses entre des espaces conçus à des époques et selon des objectifs différents qu’il a bien fallu harmoniser.
http://www.elysee.fr/videos/decouvrez-le-palais-de-l-elysee-comme-si-vous-y-etiez/
Le petit mot pour conclure
Le délicat et raffiné hôtel du comte d’Evreux est donc devenu par la force des choses, un vaste complexe de bureaux. S’il reste – certes- par de nombreux aspects une vitrine de l’art de vivre et de ce fameux « goût » français de l’Ancien-Régime et de l’empire, cela n’en fait pas pour autant un ensemble adapté à l’usage qui est désormais le sien. Conçu comme une grosse ambassade, il est aujourd’hui saturé de bureaux éclatés et mal répartis dans des locaux inadaptés à l’importance de la charge présidentielle et aux méthodes de travail modernes.
Peut-être que dans un futur proche, des travaux d’envergures seront enfin entrepris, ou un déménagement envisagé, pour mettre en phase notre belle institution républicaine avec les réalité du monde d’aujourd’hui.