L’Histoire est jalonnée de lieux emblématiques dont l’identité est si forte qu’ils caractérisent à eux seuls un pays, une dynastie, un art de vivre ou encore un peuple.
Les récentes élections américaines m’ont rappelé que le bureau Ovale est certainement l’un des lieu les plus emblématiques de notre société contemporaine.
Lieu de travail officiel du Président, cadre de ses interventions officielles ou moins formelles, présent dans un nombre incalculable de films et de séries, il semble avoir toujours été là, impassible et indissociable de l’idée que l’on se fait de l’histoire américaine et de ses institutions.
Cependant, comme beaucoup de choses qu’on a tellement l’habitude de voir qu’on ne les regarde jamais, j’ai pu constater que la plupart des gens ne connaissent pas l’histoire de ce lieu (ni même qu’il en a une), une histoire certes assez récente mais bon, il mérite je pense qu’on s’attarde quelques minutes sur son cas.
Tout d’abord, et au risque d’en décevoir beaucoup : NON, le bureau ovale ne se trouve pas au centre de la Maison Blanche derrière le portique en demi-cercle de la façade sur jardin. En fait, techniquement, il ne se trouve même pas dans la Maison Blanche au sens strict du terme, mais dans l’aile Ouest, distante d’une petite centaine de mètres de l’édifice principal, et qui abrite l’ensemble des bureaux de la présidence.
La petite histoire de cette grande maison
Pour comprendre cette situation (somme toute rationnelle), il me semble nécessaire de faire un petit résumé de l’histoire de cette maison si emblématique.
La Maison Blanche a été construite entre 1792 et 1801, mais elle ne prendra la forme que nous lui connaissons qu’aux alentours de 1830 lorsque l’on y ajoutera deux portiques à colonnes monumentales. Un premier portique, de forme carrée du côté de l’entrée (1825), un second, en demi cercle, du côté du jardin afin de suivre le relief du salon ovale situé au centre de l’édifice (1830).
La Maison Blanche sert alors à la fois de résidence officielle au chef de l’Etat, de résidence privée pour sa famille et lui, et abrite le bureaux du Président et ceux de ses collaborateurs.
A la fin du XIXème siècle, le développement des bureaux qui nécessite de plus en plus de place avec le téléphone, le télégraphe etc. L’édifice devient trop exigu et le style Victorien très chargé adopté pour la décoration intérieure dans les années 1860 est complètement dépassé.
La rénovation/extension de 1902
En 1902, Théodore Roosevelt engage une restauration totale de l’édifice. Les décors sont transformés de manière radicale.
La décoration Victorienne surchargée est supprimée et remplacée par un décor néoclassique fédéral plus en adéquation avec la fonction officielle du lieu et ce que devait être la décoration d’origine.

Le hall d’entrée de la Maison Blanche en 1889

Le même endroit après la rénovation de 1902
Rationaliser l’espace

Le Président dont la famille est très nombreuse, profite de l’occasion pour rationaliser les espaces. Le second étage de la maison, dans lequel cohabitait tant bien que mal les bureaux et les appartements privés du Président, est débarrassé de tous les bureaux qui sont transférés dans un édifice nouveau, construit à proximité à l’extrémité des anciennes Serres. Ce nouveau bâtiment dispose d’un accès direct sur la rue pour les fonctionnaires qui ne sont plus obligés de traverser la résidence pour se rendre à leur bureau. Il est évident que cela améliore grandement l’intimité du Président et de sa famille, mais également la sûreté des lieux et de ses occupants.
Le bureau du Président est placé symboliquement au centre de ce nouveau bâtiment temporaire. Mais il n’est pas encore ovale. En effet ce n’est qu’en 1909 lorsque le bâtiment sera remodelé et construit en dur que le bureau présidentiel prendra la forme qui lui donnera son nom et son aspect si clairement identifiable.
Cependant, cet emplacement de choix à ses inconvénients. En effet, placé au centre, le Président est témoin de toutes les allées et venues de ses collaborateurs, dont certains doivent passer par son bureau pour rejoindre le leur, et il doit lui même traverser plusieurs espaces publics avant de pouvoir rejoindre son bureau (zéro discretion si on arrive à 10h).


Aussi lorsque Franklin Roosevelt deviendra Président, il fera élargir l’aile ouest du côté du jardin, créant ainsi des espaces de travail supplémentaires, mais surtout un nouveau bureau pour son propre usage, avec un meilleur ensoleillement, et surtout un accès plus pratique (il est en fauteuil roulant ne l’oublions pas) et discret. Ce qui est intéressant, et au fond le cœur de notre affaire, c’est que Roosevelt ne vas en fait pas véritablement « créer » un nouveau bureau, mais « déplacer » ou plutôt reconstruire à l’identique le bureau ovale qui entre temps est déjà célèbre.
Le poids du symbole
C’est fou, seulement 20 ans après sa construction, ce bureau était déjà devenu tellement emblématique et lié à l’image de la fonction présidentielle que plutôt que d’imaginer un décor neuf, le Président a tenu à conserver ce qui était devenu l’emblème de la présidence américaine.
Si l’on observe le plan d’ensemble des bâtiments et les vues aériennes cela est très visible. On observe bien le bureau ovale, comme « greffé » à un bâtiment plus classique. Contraste d’autant plus visible qu’il possède une toiture blanche indépendante (et sécurisée) qui permet de le situer encore mieux. Le nouveau bureau étant de plein pied, l’accès au jardin et à la colonnade est immédiat et permet au Président de sortir s’aérer quelques minutes ou de faire quelques pas propices à la réflexion.
A partir de ce moment là, le bureau ovale ne déménagera plus, et l’essentiel du décor sera conservé. Seul le mobilier et la décoration évoluera en permanence avec le temps, puisque chaque Président est libre de l’aménagement de son bureau (pour le meilleur et pour le pire).
Pour le plaisir des yeux, il serait idiot de se priver de quelques photos du bureau à différentes époques, qui nous prouvent que contrairement à l’idée reçu, le décor a beaucoup changé au fil du temps au point que cela forme presque une petite fresque de l’évolution du goût (ou de l’absence de goût) au XXème siècle.

La Maison Blanche à proprement parler, que l’on appelle aussi la residence pour la distinguer des bâtiments dédiés au travail, occupe le centre d’un vaste jardin au tracé à l’anglaise assez simple et en pente douce ce qui permet de mettre en valeur côté jardin.
A l’ouest se trouve l’Executive building, l’ensemble des bureaux sont concentrés ici, y compris le bureau ovale et la salle du conseil de sécurité que l’on voit dans beaucoup de films et séries.
A l’est, de manière symétrique bien que le bâtiment soit différent, se trouve l’aile dédiée à l’accueil du public et aux bureaux de la première dame.
Dans le parc le Président et sa famille disposent d’une piscine extérieure (devant l’Exécutive building), d’un terrain de tennis, d’un green de golf et d’un panier de basket.
Du coup, dans la rotonde il y a quoi?
Dans la résidence, on trouve à chaque niveau une vaste pièce centrale de forme ovale (d’où la récurrente méprise).

Au rez-de-chaussée, se trouve la Diplomatic room (en vert sur le plan). C’est là qu’à l’issue des rencontres diplomatiques l’on prend la traditionnelle photo du Président et du chef d’Etat en visite se serrant la main (ou pas… Pauvre Angela !). Le magnifique papier peint panoramique dans le pur style romantique anglais date de la rénovation de 1961.


Au premier étage se trouve la Blue room (en violet sur le plan) dont le décor a beaucoup évolué avec le temps mais toujours dans des tonalités bleues et cela depuis Lincoln. Le mobilier français d’époque Empire que l’on y trouve encore aujourd’hui a été acquis par Jacqueline Kennedy lorsqu’elle a complètement supervisé la restauration de la Maison en 1961.


Ci-dessus la Yellow Room
Ci-contre la Blue Room

Au second étage, celui ou se trouvent les appartements privés du Président et de sa famille mais également des chambres pour les invités de marques, l’espace est occupé par la Yellow room (en jaune sur le plan). Elle porte ce nom depuis que Jacky Kennedy en a fait un salon de compagnie. Moins officiel que les salons du premier étage, mais pas non plus une pièce intime comme le petit salon du bout de la galerie. Ce salon permet de recevoir de manière plus décontractée les invités de marques en visite ou en séjour à la Maison blanche.
Le petit mot de la fin
En conclusion de cet article dont le but était avant tout de balayer une idée reçue et de vous donner une bonne petite info à placer dans les diners en ville, je dirai simplement qu’il est intéressant de voir à travers cet espace plutôt récent (1909 pour la première version) que son aura hautement symbolique ne mit au final que quelques années à l’imposer comme le symbole du pouvoir présidentiel. Un symbole fort au point que Roosevelt se sentira obligé d’en conserver les caractéristiques principales lorsqu’il réaménagera l’aile ouest pour son propre usage.
La Maison blanche est évidemment assez récente si on la compare aux châteaux hôtels particuliers et autres divers lieux de pouvoir que l’on peu trouver en Europe, mais elle met surtout en lumière que la notion de patrimoine peut revêtir des aspects très différents selon les cultures.
Elle fut en effet depuis sa création considérablement modifiée, aménagée voire reconstruite dans un souci tantôt de confort tantôt de retour à un état « d’origine » réel ou supposé. Elle reste avant tout un lieu de pouvoir certes, mais également un lieu de vie qui continue d’évoluer au gré de ses occupants, de leurs besoins et de leurs goûts.