Le parc de Bagatelle, situé dans l’enceinte du Bois de Boulogne à l’ouest de Paris, est un lieu de promenade bien connu et apprécié des parisiens. Cependant, si chacun apprécie, la roseraie, les paons, et les nombreuses fabriques qui ornent le parc, peu nombreux sont ceux qui connaissent l’histoire riche en rebondissement de ce lieu si paisible.
En effet, si le parc a globalement été entretenu sans interruptions, le Pavillon qui en est le principal ornement a plus d’une fois failli disparaître et ne nous est parvenus qu’au prix de transformations qui n’ont rien d’anodines.
Je vous propose aujourd’hui de faire un petit voyage dans le temps afin de découvrir ce lieu si emblématique de la fin du XVIIIème siècle. La richesse historique du site m’amène à procéder en deux temps : De l’origine à la Révolution (date charnière bien pratique), puis de la Révolution à nos jours. En route !
Babiole ou Bagatelle, ça ne sert à rien, c’est cher et c’est tant mieux!
Le bois de Boulogne était sous l’Ancien Régime un domaine de chasse réservé au Roi. Plusieurs logements « de fonction » étaient concédés à des « portiers titulaires », souvent grands seigneurs ou hauts dignitaires qui pour la plupart engageaient des travaux à leur frais pour transformer ces maisons fort simples en gracieuses maisons de campagne.
Celle qui nous intéresse fut concédée en 1720 au duc d’Estrées, maréchal de France qui la rasa rapidement pour offrir à son épouse « un pavillon fort galant nommé Babiole ». La maréchale est l’amie intime de Madame de Charolais (une bâtarde de Louis XIV et de Madame de Montespan) qui résidait au Château de Madrid tout proche (ne le cherchez pas, il est aujourd’hui détruit). Le domaine sera le cadre de soirées galantes organisées par les deux amies plutôt libertines. Des fêtes destinées au Régent dans un premier temps, puis au jeune Louis XV.
Le lieu est renommé Bagatelle à cette époque. Le terme est à la mode, et désigne en architecture « une construction d’apparat sans utilité particulière ». Le terme de Bagatelle est donc à la fois une manière de souligner le caractère frivole de ces constructions, et plus ironiquement de tourner en dérision les sommes colossales généralement investies pour leur aménagement.
Pendant tout le règne de Louis XV des fêtes très courues sont organisées par les occupants successifs au point que le lieu est très clairement identifié comme un haut lieu du libertinage (Valmont et Merteuil n’auraient pas fait mieux).
En 1775 c’est finalement le comte d’Artois, frère de Louis XVI qui acquiert l’usufruit de la petite maison qui n’est pas dans un très bon état mais idéalement située.
Un pari… royal!
Lorsqu’il prend possession de Bagatelle, le comte d’Artois sait que le pavillon existant n’est pas digne des fêtes grandioses qu’il souhaite y organiser. Au cours d’une soirée, sa belle-sœur Marie-Antoinette le met au défi faire raser l’ancienne construction du maréchal d’Estrées datant du début du siècle et de la remplacer par un nouveau pavillon achevé et meublé, tout cela en moins de… 100 jours !
La cour séjourne alors comme chaque automne à Fontainebleau. Le délai fixé à 100 jours correspond au retour de la cour à Versailles et doit ainsi permettre au comte (forcément victorieux) de donner une fête en l’honneur de la Reine.
N’oublions pas que la Reine n’a alors que 22 ans, et son beau-frère seulement 20. Alors forcément, piqué au vif, il accepte ce pari un peu fou dont l’enjeu est fixé à 100 000 livres.
Artois décide de faire appel à celui qui est devenu son architecte personnel peu de temps auparavant : François-Joseph Bélanger. Cet architecte est de la même génération que Brongniart (à qui l’on doit la bourse de Paris), Jean-Baptiste Chalgrin, Jean-Jacques Huvé (à qui l’on doit la Monnaie de Paris)… Une génération profondément marquée par la découverte de Pompei en 1748. Loin d’être anecdotique, cette découverte fera considérablement évoluer le regard porté sur l’Antiquité. L’impact sur l’évolution du goût et des formes à la fin du XVIIIème siècle sera énorme.
Ce nouveau style, simple et épuré et que l’on nomme parfois « neo-grec » est en rupture totale avec le style Louis XV pratiqué 30 ans plus tôt et que l’on appelle également Rocaille ou Rococo. Si vous souhaitez comparer je vous invite à lire l’article consacré au salon de la princesse de Soubise, désormais au sein des Archives Nationales dans le 4ème arrondissement.
Mais revenons à notre jeune prince qui d’évidence entendait bien gagner son pari. Pour ne pas perdre la face il mobilisa 900 ouvriers qui travaillèrent jour et nuit. Il n’hésita pas à donner ordre de réquisitionner tous les convois de matériaux de construction qui arrivaient alors à Paris pour gagner du temps. (et se faire détester du même coup)
En dépit de la difficulté de l’entreprise, en 35 jours, le gros œuvre était terminé et le pavillon achevé le 26 novembre, soit 64 jours après le pari. La décoration intérieure et l’ameublement ne furent toutefois achevés que plusieurs mois plus tard mais l’essentiel était là.
Prévue initialement pour la fin 1777, la fête d’inauguration n’eut finalement lieu que le 23 mai 1778 en raison d’un deuil à la cour d’Autriche. On donna pour l’occasion l’opéra comique du librettiste Sedaine « Rose et Colas » où la reine jouait la soubrette et le comte d’Artois celui d’un laquais.
Bagatelle devint rapidement une des villégiatures favorites du comte d’Artois. Il y était à la fois proche de la plaine des Sablons où couraient les chevaux de ses célèbres écuries de courses situées dans le quartier du Roule à Paris et du bois de Boulogne où il chassait.
Mais il ressemble à quoi ce pavillon « express »?

La façade côté cour à l’époque du comte d’Artois
La construction voulue par Bélanger comportait alors 2 petits pavillons qui précédaient un corps de bâtiment, appelé le « pavillon des pages » abritant les communs et ouvrant en son centre par une porte cochère.
Au bout d’une grande terrasse rectangulaire, le château proprement dit se présentait sous la forme d’un bâtiment rectangulaire au décor néoclassique très sobre dans l’esprit des constructions du célèbre architecte de la fin de la renaissance: Palladio.
L’édifice, qui comportait deux étages dont un en attique, ouvrait par une porte flanquée de deux colonnes de marbre . Au niveau de l’entablement une plaque de marbre noir portant l’inscription en lettres d’or qu’avait choisie le comte d’Artois : « Parva sed Apta » (petite mais pratique : tout est dit). Côté jardin, un beau salon en rotonde était coiffé d’un dôme à l’italienne.
Plan du rez-de-chaussée du pavillon en 1777


Le rez-de-chaussée comportait un vestibule qui desservait un salon de billard, une salle-à-manger et le grand salon central encadré par deux boudoirs. Toute la décoration des pièces était faite de peintures, de boiseries sculptées et d’ornements en stuc figurant rinceaux et médaillons. L’ensemble était évidemment dédié à l’amour et ses plaisirs.
Pièce principale du rez-de-chaussée, le grand salon circulaire ouvrait par trois fenêtres en plein cintre donnant sur le jardin était coiffé d’une coupole à l’italienne dont le décor était constitué d’arabesques évoquant les noces de Psyché.
Le grand salon remeublé pour l’exposition de 1998
De chaque côté de ce salon, deux boudoirs, dont les alcôves étaient garnies de sofas confortables, accueillaient des peintures dont pour l’un, une série de toiles évoquant les plaisirs champêtres réalisée par le peintre Hubert Robert.


Mais la pièce la plus spectaculaire du pavillon reste la chambre du prince. Elle avait été conçue comme une tente militaire, clin d’oeil aux nouvelles fonctions du prince comme colonel-général du régiment des Suisses et Grisons. Les murs étaient couverts d’une soie rayée bleu pâle et blanc, retenue dans les angles par des lances de bois doré surmontées de casques. Un velum drapé recouvrait le plafond et retombais en lambrequins tout autour de la pièce.
Un velum drapé recouvrait le plafond et retombais en lambrequins tout autour de la pièce.
Tout le décor exaltait les vertus guerrières, la cheminée était par exemple décorée d’une pendule dont le cadran était situé au centre d’un bouclier à la romaine (voir l’illustration ci-dessus). Le mobilier, dessiné par Bélanger lui-même, avait été réalisé par l’ébéniste Georges Jacob et reprenait la décoration martiale de la chambre donnant à l’ensemble une unité rarement égalée.

Coupe transversale sur le salon et les deux boudoirs en bas et coupe de la chambre en haut

Le comte d’Artois en tenue de chasse – 1775
A Bagatelle, l’extrême attention apportée aux moindres détails peut surprendre, surtout si l’on considère la rapidité du chantier. Elle sera pourtant l’une des folies les plus emblématique de la période. Manifeste significatif d’un renouveau dans l’histoire de l’architecture d’agrément. Il ne faut pas oublier que la place Louis XV (actuelle place de la Concorde) construite par Ange-Jacques Gabriel n’est achevée que depuis quelques années. Pourtant déjà, les façades qui l’entourent, aussi magnifiques soient-elles, sont jugées très sévèrement par toute une génération d’artistes qui souhaitent d’avantage de nouveauté et un retour plus radical aux canons antiques.
Le Comte d’Artois recevait à Bagatelle une société d’amis choisis (et chanceux) sans oublier ses nombreuses maîtresses. La plus fameuse, la célèbre comédienne Rosalie Duthé, avait dit-on accordée ses faveurs à tellement de grands aristocrates qu’on avait fini par la surnommer le « Passage des Princes » (classe !).
La fête est finie (ou pas)
Au lendemain de la prise de la Bastille, le prince ayant émigré sur le conseil de son frère Louis XVI, le domaine fut confisqué avant qu’un décret de la Convention, en date du 5 mai 1793, ne décide sa conservation à condition qu’il serve aux réjouissances du peuple. Bagatelle devint alors un bal musette mais tout son mobilier fut vendu. A court d’argent, le gouvernement décidera finalement de vendre le domaine qui sera transformé en restaurant.
Le château va-t-il survivre à toutes ces mésaventures ?
La suite au prochain épisode !