Lorsque l’on parle à quelqu’un de Buenos-Aires, il pense évidemment à la sensualité du Tango et à la qualité de la viande rouge… Mais moins nombreux savent que Buenos Aires est certainement la ville d’Argentine la plus riche culturellement. Considérée à juste titre comme la plus européenne des villes d’Amérique du Sud. L’architecture de la ville a été influencée par plusieurs pays européens mais ce n’est pas sans raisons qu’on la surnomme « le petit Paris d’Amérique Latine ».
En effet ce surnom est bien loin d’être anecdotique ou usurpé puisqu’une simple promenade sur les artères principales de la ville a donné au parisien que je suis une impression de « déjàvu » assez déroutante !
Puisque je suis certain que vous pensez que je m’enthousiasme un peu trop et que j’exagère, j’ai dressé pour vous convaincre, une sorte de petit inventaire des principaux bâtiments de la ville qui contribuent à donner à la capitale argentine ce chic tellement parisien !
Une capitale à inventer
Devenue indépendante en 1816, l’Argentine va connaître à la fin du xixe siècle une croissance économique sans précédent. La révolution industrielle, dont le principal apport apport sera la construction de chemins de fer, permet à Buenos Aires d’accroître considérablement sa puissance industrielle. Les matières premières coulent à flots dans les usines et la ville devient en à peine trois décennies une grande métropole multiculturelle pouvant rivaliser avec les grandes capitales européennes.
Face à une croissance rapide (trop ?) on trace à la hâte de larges avenues qui verront apparaître au début du xxe siècle les plus hauts gratte-ciel d’Amérique du Sud. La première ligne de métro est inaugurée en 1913 et l’opéra de de la ville, le Téatro Colon, à l’acoustique remarquable, devient l’un des plus fréquentés au monde.
Cet essor économique entraine l’ascension sociale d’une poignée de familles : Alvear, Unzué, Ortiz, Anchorena ou encore Errazuriz pour ne citer que les principales. Ces grands propriétaires terriens ou industriels, parfois les deux se retrouvent en quelques années à la tête de fortunes colossales sans commune mesure avec les fortunes européennes.
Que ce soit pour leur propre compte ou pour la cité, les édifices construits pendant cette période sont marqués par un soucis constant de prouver au monde que leur ville a l’ambition et les moyens de rivaliser avec les grandes capitales et qu’elle s’y attèle. Pour eux, l’architecture doit en être le plus éclatant manifeste.

L’évidence du modèle parisien
A l’aube du XXème siècle, tous les regards sont tournés vers Paris. L’exposition universelle de 1900 a célébré en grande pompe l’entrée du monde occidental dans l’ère moderne. Paris, dont l’Haussmannisation touche à sa fin, est devenu le paradigme de la modernité, du luxe et de ce qui fait alors rêver le monde entier, ce fameux art de vivre à la française.
Les élites argentines, considérablement enrichies depuis les années 1880 n’ont évidemment pas oublier de voyager, d’étudier, de se divertir, de dépenser… et pour cela, elles se rendent en Europe évidemment mais avant tout à Paris !!!
Aussi lorsque ces élites locales qui occupent tour à tour les postes officiels cherchent des modèles à égaler voir à surpasser, c’est tout naturellement vers la capitale française que leurs yeux se tournent.
Je n’avais jamais pris conscience de l’ampleur de ce phénomène avant d’aller sur place. Et pourtant cela saute aux yeux !!! Plus qu’une évocation, ce sont parfois des bâtiments entiers qui sont reproduits. En quelques années la ville se couvre de réalisations architecturales et urbaines d’une qualité surprenante directement inspirés de l’architecture parisienne de la belle époque que l’on qualifie de manière générale de style « Beaux-Arts » et dont le grand et le petit Palais sont les exemples les plus significatifs.
Car si Paris est à cette époque une source d’inspiration pour tout un peloton d’architectes dans le monde, les bâtiments construits à Buenos Aires sont largement dignes de leurs modèles parisiens, bien plus d’ailleurs à mes yeux que ne le sont les réalisations contemporaines que l’on trouve à New-York ou Newport.
Le si fameux style « Beaux-Arts »
(à dire avec un fort accent français où que vous soyez !)
Le style Beaux-Arts est une forme tardive de néo-classicisme avec une touche d’éclectisme. Héritier de l’éclectisme du style Napoléon III, on le retrouve surtout dans les réalisations architecturales du début de la Troisième République (en gros 1880-1914).
Il tire son nom de l’École des beaux-arts et de l’Académie des beaux-arts qui sont les institutions-clefs de l’enseignement et de la reconnaissance architecturale et artistique à Paris.
Ce style sera extrêmement apprécié aux États-Unis et en Amérique latine jusqu’au milieu du XXème siècle. De nombreux architectes formés aux beaux-arts de Paris travailleront par la suite à l’étranger, diffusant ainsi le « goût » et la « manière » française un peu partout dans le monde.

Pour se faire une bonne idée de ce qu’est le style « Beaux-Arts », la gare d’Orsay (actuel musée du même nom), le grand et le petit palais en sont les exemples parisiens les plus représentatifs.

Un bel hommage dont Paris… se fous ou presque!
La France de 1900 est assez centrée sur elle-même et c’est bien normal puisqu’elle est le centre du monde d’alors… A partir de 1914, enlisée dans le premier conflit mondial puis en pleine reconstruction, elle se souciera assez peu, et c’est bien compréhensible, de ces argentins fortunés qui rêvent de reproduire outre atlantique ce « gai Paris » d’une « belle époque » déjà révolue.
Et pourtant, les architectes, souvent français, sont ceux-là même qui à Paris ont construit certains des plus fameux hôtels particuliers ou de voyageurs : Ernest Sanson, René Sergent, les frères Duchêne pour les jardins…
Bref, si Paris sera toujours Paris, regardons de plus près quelques-unes des plus emblématiques réalisations qui font de Buenos-Aires, aujourd’hui encore, la plus parisienne des capitales étrangères.
Palacio Paz
L’un des premiers palais construit dans cet esprit est encore aujourd’hui l’un des plus imposants. Il abrite depuis 1938 le club Il Circulo Militar (le cercle militaire). Mais il fut construit entre 1902 et 1914 pour un grand patron de presse, le propriétaire du journal « la Pensée ».
La façade sur la place San Martin est une reprise des « guichets monumentaux » réalisés au Louvre sous Napoléon III de 1865 à 1868 par Hector Lefuel. Les trois grandes arcades permettant de traverser le palais via la place du carrousel.
En faisant une simple comparaison photographique, on se rend compte de l’évidente paternité de l’édifice parisien. Si les arcades sont remplacées par de simple fenêtres et que l’échelle du bâtiment est évidemment plus restreinte, la structure et le décor sont très similaire. La décoration intérieure n’est pas en reste, puisque tout n’est que néo-XVIIIe siècle français, néo-Renaissance française, et éclectisme international typique de la belle-époque.






Palacio Errazuriz
Le bâtiment qui abrite depuis 1944 le Musée des arts-décoratifs est certainement l’un des fleurons de cette architecture francophile porteñienne. Il fait partie d’une série de trois résidences réalisées simultanément pour trois grandes familles de Buenos Aires. Apparentées, elles font appel communément, ce qui est assez rare pour être souligné à René Sergent. Les commanditaires ont pu le rencontrer à Paris et il est alors l’un des architectes les plus populaire auprès de la haute soiciété de la belle époque.
Pour la façade principale qui se donne en spectacle depuis l’avenida del Libertador, René Sergent reprend le dessin des façades conçues par Ange-Jacques Gabriel, architecte de Louis XV pour les pavillons situés aux angles des deux bâtiments qui bordent la place de la Concorde (alors place Louis XV) à Paris. Les autres façades n’en sont que des variations. La façade sur le jardin n’est toutefois pas sans rappeler la façade latérale du petit Trianon (également de Gabriel). On adore surtout la descente à couvert qui forme un temple rond aux doubles colonnes doriques jumelées et engagées.
A l’intérieur, la salle de bal reprend dans une version blanc et or le décor du salon du prince de Soubise à Paris. L’original se situe de nos jours au sein des archives nationales dans le marais et se visite facilement. Dans les archives de l’architecte, on retrouve plusieurs versions de ce même décor néo XVIIIème. Elles furent proposées aux Errazuriz et tendent tantôt vers le pur néo-Louis XV, tantôt vers l’art nouveau. Le choix final se portera sur une version intermédiaire (voir photo).
Les boiseries du salon de compagnie à l’élégante sobriété, impression renforcée par leur teinte gris perle, sont même issues d’un bel hôtel particulier parisien : l’hôtel Letellier. Situé rue royale, les remarquables boiseries qui décoraient l’intérieur ont été démontées et vendues en trois lots distincts au tout début du XXème siècle. Le premier lot se trouve désormais au musée des beaux-arts de Philadelphie, le second lot constitue l’essentiel du décor du grand salon du musée Nissim de Camondo à Paris (hôtel également construit par René Sergent à la même période puisque inauguré en 1913) et troisième lot enfin, se trouve ici, dans l’ancien hôtel de la famille Errazuriz.
La salle à manger quant à elle, reprend le décor du salon d’Hercule au château de Versailles (rien que ça !). On retrouve en effet la même décoration rythmée par des pilastres corinthiens en marbre rouge (on appelle pilastres des colonnes « plates » plaquées contre un mur). Les peintures placées dans les cadres sont inspirées de scènes de chasses de Ourdy réalisées pour Louis XV.
L’ensemble de la distribution des pièces du rez-de-chaussée s’articule autour d’un immense hall/salon central de style première Renaissance française. Le volume de la pièce est d’ailleurs impressionnant puisqu’il couvre les deux étages de l’édifice.
Il n’est donc pas étonnant que l’Etat argentin en ai fait le musée des arts décoratifs, puisque les salles principales permettent d’évoquer à elles seules les styles louis XIV (salle à manger), Louis XV (salle de bal), Louis XVI (salon de compagnie), et Empire (chambre du fils Errazuriz).
Un véritable coup de maître de l’architecte qui a su malgré un cahier des charges complexe, concevoir un bâtiment cohérent, proportionné, pratique… et a l’élégance toute française !
Palacio Duhau de Buenos-Aires
La famille Duhau est certainement l’une des grandes familles portogène les plus francophile. Elle a séjourné à plusieurs reprises à Paris et en Ile-de-France. Pour leur demeure à Buenos Aires, les Duhau font appel en 1934 à l’architecte français Leonn Dourge qui leur propose alors une version urbaine du célèbre château du Marais. Ce château français néoclassique, construit de 1772 à 1779 par l’architecte Barré, fut notamment la propriété du célèbre dandy Boniface de Castellane et de sa richissime épouse Anna Gould. Il était alors considéré comme un des temples du bon goût français et y être invité était un signe de reconnaissance sociale. A Buenos Aires, la façade sur la rue n’est ni plus ni moins qu’une copie conforme de celle du château français situé en Essonne.
L’intérieur cependant n’est pas du tout au niveau… Le décor est beaucoup moins raffiné et très remanié, sans parler de la distribution qui n’est pas très intelligente…. Le bâtiment abrite aujourd’hui l’hôtel Park Hyatt de Buenos Aires.
Palacio Duhau à Ivry
A la campagne les Duhau font construire en 1936 un vaste domaine. Au centre se trouve un château de style fin XVIIIème siècle français. L’ensemble n’est pas sans rappeler le château de Bouges (mais tout est en béton puisque nous sommes en 1936…). Le château est entouré d’un vaste parc divisé en trois secteurs : Des parterres à a françaises aux alentours directs du château, un parc à l’anglaise et un jardin provençal.
Palacio Bosch
Résidence de l’ambassadeur des Etats-Unis depuis 1929, le palacio Bosch est le second de la série des palais construit par René Sergent en 1910. Un peu plus tapageuse, l’architecture, notamment à l’intérieur, reprend ce que Sergent avait imaginé à Paris en 1900 pour l’hôtel de Pierre Lebaudy, qui se trouvait au 55-57 rue François 1er dans le 8ème (détruit en 1962, remplacé par un immeuble sans caractère occupé par la boutique Bulgari). Un vaste escalier central à trois volées est entouré de galeries à colonnes cannelées qui constitues une sorte de déambulatoire distribuant tous les salons. Un espace très théâtral, bénéficiant d’un éclairage zénithal très propice aux scénographies mondaines.
Palacio Anchorena Fernandez
Edouard Le Monnier réalise pour la famille Anchorena un palais à l’allure typiquement parisienne. Mais bien plus que son aspect extérieur, c’est l’imposant escalier d’honneur qui en est le chef d’œuvre. Pour cet escalier magistral, l’architecte s’inspire directement de l’opéra royal du château de Versailles. On retrouve en effet une galerie de colonnes cannelées supportant une voute compartimentée dont le dessin est identique. Les ouvertures ovales caractéristiques, qui permettait aux fumées générées par les bougies des bougies d’être évacuées sont ici purement décoratives. La voute constitue une sorte de cadre autour de la large verrière centrale. A Versailles vous me direz, l’espace central est occupé par une toile peinte et non par une verrière. Certes, mais au moment où est construit le palais de Buenos Aires, l’opéra du château des rois de France porte encore les stigmates du séjour temporaire mais destructeur de l’assemblée nationale qui fit suite aux événements de la commune de Paris (1870). Et ce n’est qu’après la seconde guerre mondiale, que la salle sera restaurée dans sa configuration d’origine, impliquant la suppression de la verrière et le retour de la toile peinte.
Palacio San Martin
En 1905, Mercedes Castellanos confie à l’architecte Alejandro Christophersen le soin de construire son nouveau palais. Inauguré en 1909 il est constitué en fait non pas d’un seul mais de trois hôtels particuliers indépendants qui s’articulant autour d’une cour ovale ceinturée par une colonnade. Cette cour est directement inspirée de celle réalisée quelques années plus tôt à Paris pour le musée qui devait abriter la collection de la comtesse Galliera. Il porte toujours son nom mais abrite actuellement le musée de la mode de la ville de Paris.
Si le décor intérieur d’inspiration française, l’ensemble n’est, avouons-le, pas d’une grande légèreté. On peut toutefois noter dans le mobilier une réplique de la célèbre commode de Louis XVI qui se trouve au château de Chantilly.
Ce que je préfère dans ce palais, ce sont les deux magnifiques petits jardins d’hiver qui ponctuent la façade extérieure. Véritables petites friandises de fer forgé, ils intègrent de nombreux éléments décoratifs caractéristiques du style Louis XVI.
Palacio Manuel Langoria
Les boiseries du salon doré sont inspirées de celles qui se trouvent sans le salon de compagnie du petit Trianon de Versailles. Dans la version argentine, les boiseries sont enrichies d’un décor d’arabesques en couleurs comme on peut les voir dans le cabinet doré de Marie-Antoinette à Fontainebleau. Double hommage donc !
Palacio Bencich : le petit qui a tout d’un grand
Je dois avouer qu’au cours de mes recherches, j’ai eu un gros coup de cœur pour ce petit hôtel particulier. Construit sur une parcelle très étroite mais profonde, il est à mes yeux l’un des plus réussi même si aujourd’hui il aurait besoin d’un petit coup de neuf. La taille compte surement pour beaucoup dans ce jugement. En effet plus modeste par ses dimensions que ceux que nous venons d’évoquer, il est de fait plus proche des hôtels construits à la même époque dans l’ouest parisien à la belle époque.
Regardez le plan, la distribution est dingue ! Même si les pièces sont étroites, elles sont si bien distribuées que l’on a une impression d’espace. Le jardin d’hiver, éclairé par une verrière ouvragée permet constitue un puit de lumière pour les étages supérieurs et fait bénéficier le rez-de-chaussée d’un éclairage naturel malgré l’étroitesse précieux étant donné la longueur de la parcelle.
En un mot : Bravo !!!
Palacio Pereda
Je terminerai cette série d’hôtels particuliers ou « palacios » par celui qui est peut-être le plus déroutant pour le parisien que je suis. En effet, Lorsque le docteur Pereda demande à son architecte de concevoir sa nouvelle résidence, ce dernier proposera ni plus ni moins qu’une réplique presque à l’identique (du moins pour la façade sur la rue) de l’Hôtel Jacquemart-André à Paris et qui abrite aujourd’hui le musée du même nom.
J’ignorais complètement que ce musée que j’affectionne particulièrement avait un lointain cousin argentin ! Si ce n’est la couleur de la façade qui est d’un blanc éclatant à Buenos Aires, tout le reste est identique, il suffit d’accoler deux photos des bâtiments pour en prendre toute la mesure.
Pour la façade arrière et la distribution intérieure en revanche, l’architecte a pris plus d’autonomie. De toute manière la forme de la parcelle ne permettait pas d’aménager une voie semi circulaire pour que les voitures entrent d’un côté, déposent leurs occupants et sortent sans avoir à faire de manœuvre. A Bueno Aires on trouve sur la partie arrière un jardin plus classique.
Cela dit, heureusement pour l’architecte car la reproduction passive d’un édifice existant ne doit rien avoir de très exaltant.
La liste des édifices privés d’inspiration française est encore longue mais j’ai sélectionné ceux que je préfère ou que je trouve les plus évocateurs.
Enfin il n’y a pas que les palais dans la vie!
Evidemment, les quelques familles patriciennes dont nous venons de parcourir les noms, furent un véritable vivier pour l’administration de la ville et du pays. Dans leurs rangs on compte un bon nombre de hauts fonctionnaires, de députés, etc. Si bien que ce mouvement architectural qui tenait son origine de l’initiative privée, trouva un nouveau terrain d’expression dans les grands chantiers qui façonnèrent la ville pour lui donner sa physionomie actuelle.
Loin de moi l’envie de faire un inventaire exhaustif de toutes les réalisations publiques qui puiseraient leur inspiration dans le style Beaux-Arts français, mais les trois que vous trouverez ci-dessous en donnent une bonne idée.
L’hippodrome de Palermo
Les courses avaient une place très importante dans la vie mondaine portgène. L’hippodrome de Buenos Aires en est le flamboyant témoin. La façade de la tribune principale reprend celle du manège extérieur des écuries des princes de Condé au château de Chantilly. Depuis leur construction au XVIIIème siècle, ces écuries sont considérées comme les plus remarquables d’Europe (je suis bien de cet avis). Aussi lorsqu’il est jugé nécessaire de construire un nouvel hippodrome à Buenos-Aires, c’est évidemment de ce « palais pour chevaux » que vont s’inspirer nos amis argentins. Inauguré en 1908, l’édifice est l’œuvre de l’architecte français Louis Fauré Dujarric. Devenu rapidement mythique, il est mentionné dans de nombreuses paroles de tango.
Palacio del Correo (Palais du courrier), la poste centrale quoi.
La construction de la poste centrale de Buenos Aires fut un feuilleton qui dura près de 30 ans ! Le projet initial, mal ficelé, était dù à l’architecte français Norbert Maillart. Cependant, même si son projet fut modifié plusieurs fois en cours de route, le plan de l’édifice est inspiré de la poste centrale de Paris, située rue du Louvre. Pour le décor des façades par contre, c’est au vocabulaire esthétique du célèbre architecte de Louis XV, Ange-Jacques Gabriel, que l’on souhaitait rendre ici hommage. L’édifice reprend en effet la silhouette de l’école militaire à Paris, inaugurée en 17XX et qui représente très bien le style employé pour les bâtiments officiels dans la France d’Ancien Régime. Le dôme tronqué en étant la principale caractéristique. On le retrouve par exemple sur le pavillon de l’horloge au Louvre, sur la façade de la cour d’honneur du palais de justice sur l’île de la cité, ou dans le « grand dessein » de Gabriel pour Versailles (qui restera inachevé).
Sauf que là… patatras ! Le style louis XV en architecture – et c’est là toute son élégance – n’est pas très propice à la monumentalité. Du coup, à force de vouloir faire toujours plus grand, toujours plus haut, on a l’impression d’avoir devant nous un petit château de plaisance qui aurait pris des stéroïdes sans vraiment tout contrôler… Pas une grande réussite donc.
La banque de la nation argentine
Le siège de la banque nationale argentine s’inspire des façades de Claude-Nicolas Ledoux que l’on peut voir en face du Panthéon à Paris (l’un des deux bâtiments abrite la mairie du 5ème). Mais l’échelle a encore une fois explosé et le résultat est un peu lourd et sans grand caractère.
Les immeubles de la ville en général
Evidemment, toutes les strates de la société vont être contaminées par ce francophilie maladive. Très vite, des quartiers entiers vont se couvrir de nouveaux immeubles inspirés de ceux construits à Paris à la même époque.
Ce qui fait sourire, c’est que les architectes argentins n’étaient évidemment pas soumis règles urbanistiques alors en vigueur à Paris jusqu’en 1902 et héritées d’Haussmann. Aussi, on a l’impression de voir des immeubles parisiens qui auraient été l’objet d’une poussée de croissance soudaine.
Voici quelques photos d’immeubles assez représentatifs de ce style Beaux-Arts français version Portgène.
Palacio de agua correntes (le palais de l’eau courante)
Je terminerai cet article avec le bâtiment qui symbolise peut-être le mieux cet âge d’or de Buenos Aires. Alors capitale en pleine effervescence, ou l’argent coule à flots et où l’on est prêt à tout pour égaler les grandes capitales Européennes.
Le palacio de Agua correntes, c’est tout ça : Il s’agit en fait bel et bien d’un château, mais un château… d’eau !
Nous sommes dans les années 1890, dans un quartier huppé de la ville alors en pleine expansion. La municipalité décide la construction d’une énorme réserve d’eau potable afin de faire face à l’accroissement du besoin en eau du quartier. Seulement voilà, les riverains refusent de voir leurs jolies rues défigurées par un bâtiment utilitaire de cette ampleur.
Qu’à cela ne tienne ! Un compromis est imaginé : le disgracieux bâtiment sera camouflé par luxueuses façades factices, lui donnant l’allure d’un bâtiment prestigieux bâtiment officiel. Les habitants sont ravis, ils ont de l’eau et le prix du mètre carré n’a pas baissé !
Lorsque l’on en arrive travestir un château d’eau en palais, n’est-ce pas là le comble du chic ?
Cela dit, les vieilles fontaines parisiennes aménagées sous l’ancien Régime, ont toujours fait l’objet d’un traitement monumental par les architectes officiels. Peut-être l’hommage à Paris le moins volontaire qu’ai conçu Buenos-Aires.
et si nous disions « merci »?
Comment conclure un tel article si ce n’est en confessant que j’ai découvert là-bas un patrimoine architectural extrêmement riche et directement inspiré de celui de la France. Lorsque j’en ai parlé à quelques amis autour de moi, pourtant plutôt calés dans ce domaine, personne n’avait pris la mesure de l’ampleur de ce qui fut une véritable dévotion pour la France à une époque où elle faisait figure de centre du monde.
Que les architectes soient français ou francophiles – certains travaillant simultanément pour des projets à Paris, New-York, Rio ou comme nous venons de le voir, à Buenos-Aires – ils ont diffusé par leur réalisations, non seulement un style d’architecture mais surtout ce fameux art de vivre à la française, admiré de tous à l’époque et qui aujourd’hui encore, et sans nostalgie stérile de ma part, fait la fierté de la France dans le monde.